Pas plus d’inquiétude, mais de la vigilance !

Alors que le virus du Covid-19 ravage nos communautés et que cette pandémie bouleverse nos rythmes de vie, la criminalité, elle « s’adapte ». Un phénomène normal explique Olivier Ribaux, professeur et directeur de l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne. Pas d’inquiétude, mais un vibrant appel à la vigilance nous lance le vice-doyen de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique, par ailleurs membre du Conseil de direction de l’Académie de police de Savatan. Nous publions ses réflexions ci-après avec nos remerciements.

« Le coronavirus inquiète, la structure des interactions sociales change brutalement et nos activités routinières sont bouleversées. Dans ce contexte, on peut s’attendre aussi à ce que la criminalité se transforme.

« La police cantonale vaudoise, sur son compte twitter, dévoile un nouveau mode opératoire : les auteurs visitent des personnes âgées sous prétexte d’un contrôle sanitaire ou de la désinfection du logement. Ils en profitent pour entrer dans leur appartement et leur subtiliser leurs biens. En lisant la presse, on retrouve le même mode opératoire en Espagne et en France, puis probablement partout en Europe.

« On apprend aussi que des masques sont dérobés dans certaines institutions par des employés, puis revendus à des prix élevés. Des effractions dans des voitures portant un signe du type ‘soins à domicile’ sont également constatées : on y dérobe des produits désinfectants ou des masques, devenus des produits très intéressants, donc attractifs pour les voleurs.

Les arnaques en ligne prolifèrent…

« Les arnaques en ligne exploitant ces scénarios prolifèrent (ventes en ligne autour du désinfectant ou des masques, fraudes diverses, etc.). On incite aussi à faire des placements sulfureux autour de scénarios économiques laissant faussement penser qu’il y a des moyens d’exploiter la crise pour tirer son épingle du jeu. Dans les hôpitaux au personnel surchargé et baissant la garde sur la sécurité de l’information, le spectre du ransomware est particulièrement inquiétant (intrusion visant à crypter l’intégralité des données, et permettant ensuite d’opérer du chantage pour rétablir l’accessibilité à des données vitales pour l’institution).

« La réactivité des auteurs face à ces changements est impressionnante. Ces modes opératoires sont révoltants, mais l’ampleur de ces adaptations n’est finalement pas si étonnante : elle s’inscrit dans un ensemble de théories très connues en criminologie. On les regroupe en tant que « théories des opportunités ». Le mécanisme s’exprime simplement, en une phrase :

« Pour qu’un crime puisse avoir lieu, il faut que les circonstances permettent/favorisent la rencontre entre un auteur motivé et une cible attrayante mal protégée. »

« L’évolution des opportunités criminelles en fonction du contexte est une sorte de fatalité : dès qu’il y a des brèches, certains n’hésitent pas à s’y enfiler. Et les circonstances offrent une multitude de nouvelles brèches. Les personnes âgées n’ont aucune raison de se méfier des personnes ‘bienveillantes’ qui s’inquiètent pour leur santé. Il y a même au fond d’elles-mêmes, une attente à ce qu’on s’inquiète de leur sort.  Elles ont ainsi un degré de vulnérabilité très élevé face à cette situation. Ces victimes potentielles ne sont pas protégées puisque les familles ne peuvent même pas aller les visiter. En tant qu’utilisateurs d’internet, nous offrons aux auteurs motivés et un peu malins une variété incroyable de nouvelles opportunités tellement nous sommes obnubilés par ce coronavirus et parce que nous passons aussi beaucoup plus de temps devant notre ordinateur qu’habituellement !

Les cambriolages sont en chute libre

« Il y a aussi de bonnes nouvelles :  les cambriolages dans les habitations sont en chute libre, pour les mêmes raisons (le degré d’occupation des logements est très élevé). Certains crimes ne sont plus possibles, ou moins intéressants, durant cette crise.

« Les effets sont déjà spectaculaires sur l’évolution de la criminalité et nous devrions pouvoir constater de véritables ruptures dans les mécanismes des modes opératoires. Il sera intéressant, une fois la crise passée, d’objectiver toutes ces évolutions et de décortiquer les modes opératoires et autres changements : on imagine que les marchés illicites sont également touchés : qu’en est-il de l’approvisionnement du marché en produits stupéfiants ? Que deviennent les consommateurs dépendants ? Comment le darkweb encaisse-t-il la crise ? Se dope-t-on de la même manière ?

« Sans compter une autre inquiétude, conséquence du confinement : comment la violence domestique évolue-t-elle ?

Surtout, prenez soin de vous !

« Ce qu’on sait aussi de plus rassurant est que les crimes sériels (fraudes et vols) sont très concentrés sur relativement peu d’individus, ce qui explique une grande partie des cas. Il y a peu de personnes actives, mais elles font beaucoup de dégâts. C’est intéressant d’un point de vue stratégique : si on arrive à identifier ces individus, alors on peut avoir un effet significatif sur le phénomène. Les autres mesures sont essentiellement préventives en vue de supprimer ces opportunités ou rendre plus difficile le déploiement des modes opératoires. Mais ces opportunités sont tellement nombreuses qu’il n’est jamais possible de boucher tous les trous.

« Voici donc une interprétation possible de la situation, qui nous demande un peu de vigilance mais somme toute assez naturelle. Elle ne doit pas nous inquiéter encore davantage. Surtout, prenez soin de vous ! »